Si, à ce point du budget, vous vous dites que vous avez rémunéré tout le monde pour le travail effectué, vous vous trompez. Une certaine somme de travail invisibilisé, de rémunérations annexes, ne sont pas encore entrées en ligne de compte. Certaines paraissent étranges, voire injustifiées. On va essayer de démystifier tout cela.
Les droits d'auteur
Pour certain.es, le paiement des droits d'auteur à ce stade est une évidence. Mais pas pour tout le monde. Après tout, les auteur.es, si ils/elles ont bien déposé leur travail auprès d'organisme de collecte de droits d'auteur (SABAM, SACD,...), recevront des droits d'auteur lorsque le film sera diffusé.
Certes. Mais rappelons que, tout d'abord, ce droits est inaliénable, et appartient en plein à la personne des auteur.es. Il n'entre donc pas en ligne de compte dans la négociation.
Ensuite, si vous reprenez le budget en détail, vous ne verrez nulle part une ligne pour le travail de scénaristes. Ceux-ci ne sont pas encore rémunérés. Cette rémunération c'est l'achat du scénario, et du droit à l'utiliser pour en faire autre chose, un film, et d'en retirer des profits (idéalement). Les droits d'auteur sont bien souvent la rémunération des scénaristes.
Enfin, ce que vous payez ici, c'est le travail intellectuel, les idées qui ont été mises dans la création de l'oeuvre. Travail qui donne sa valeur (y compris commerciale) au produit fini.
Ces droits d'auteur couvrent à la fois les droits sur le scénario que les droits sur la mise en scène.
Un droit d'auteur pour la réalisation, aussi ?
Ici, vous vous dites peut-être que vous avez déjà rémunéré le/la réalisateur.rice. Et c'est vrai. Mais vous n'avez rémunéré que son travail productif, physique. Sa présence sur le chantier du film en tant que contremaître. Vous avez rémunéré son bagage technique. Mais pas la réflexion, l'art, la créativité de sa mise en scène.
Les droits d'auteurs visent donc à payer cette partie du travail des scénaristes et metteur.ses en scène.
On pourrait se demander pourquoi on limite les droits d'auteurs à ces deux seuls postes. Après tout, tout le monde apporte sa technique ET son art à une création collective. Et c'est vrai. Cet état de fait n'est que le fruit d'une convention. D'ailleurs certains acteur.rices réclament également une rémunération en droits d'auteur et/ou à l'image. Dans les pays anglo-saxons, une autre manière de faire "monter" les acteur.rices dans le train des rémunération est de leur donner un poste de production exécutive.
Ici aussi, l'usage veut que 10% du budget global d'un film aille au paiement de ces droits.
Rémunération de la production
Quoi ? La production aussi prend sa part ? Oui, et elle est même plus élevée que celle des auteurs, puisqu'elle s'élève à 10% de tout ce qui précède, et pas seulement à 10% du budget net. Auxquels s'ajoutent encore maximum 7% dédiés aux frais généraux de l'entreprise.
De quel droit la production se rémunèrerait-elle en amont de la mise sur le marché du film ? Après tout, son rôle, comme toute autre société, est de produire, et de vivre de la vente de ces produits ?
La réponse est pragmatique: sauf à produire des blockbusters en boucle, aucune société de production, dans nos pays, ne peut survivre de la commercialisation de ses films. Le paysage audiovisuel belge, et même européen, serait bien pauvre.
Alors, c'est une licence à faire des films que personne ne regarde ? Pas vraiment. C'est surtout une manière de prendre plus de risques artistiques. un modèle de production qui permet une plus grande diversité.
Je m'explique.
Le double risque de la société de production
On a pu le comprendre en filigrane de ce budget, mettre en chantier un film comporte une foule de risques. Dont le risque financier. Risque porté, seul, par la société de production. C'est elle qui s'engage, auprès des financeurs et coproducteurs, à mener à bien le projet, à dépenser l'argent de la manière dont elle s'est engagée à le faire, et à arriver à un produit qui correspond aux standards exigés.
D'autant que, ici aussi, une masse de travail se cache derrière la production : la société investit dans le développement du scénario, cherche les financements, les co-productions, gère l'administration de ces financements. Elle fournit les locaux, le personnel, le matériel, paie les déplacements, les ateliers et résidences d'écriture.
Tout cela fera sans doute un très bon film. Mais rien ne dit que ce sera un succès commercial.
Les sociétés de production, autres que les majors, ne peuvent tout simplement pas se permettre de prendre le double risque d'un investissement périlleux et d'un avenir commercial incertain.
Le cinéma est certes une industrie, mais une industrie pas comme les autres: elle ne produit que des prototypes. Il n'y a pas de chaîne de production, de produits standardisés à sortir et à commercialiser en masse. Chaque film est un recommencement, un nouveau marché à conquérir, un nouveau public à convaincre. Aucune autre industrie ne fait cela.
En clair, pour cette ligne du budget, gardez votre casquette de producteur.rice solidement vissée sur votre tête, et gardez une rémunération pour votre entreprise.
D'autant qu'elle a de fortes chances de se trouver mitigée par ce que l'on va aborder dans la leçon suivante.